Le cabinet d’avocat, une entreprise comme une autre ?
L’avis des avocats
De par mon activité, je côtoie beaucoup d’avocats. il a donc été très naturel pour moi de poser cette question (titre) à quelques-uns de mes contacts avant d’écrire cet article.
Sans surprises, leurs réponses ont été unanimes, et certains m’ont même regardé avec un air désemparé : « Mais vous n’y pensez pas Thomas, c’est évident que nous ne sommes pas une entreprise comme une autre ! Nous avons des structures juridiques différentes, des obligations différentes, nous sommes constitués d’indépendants associés… »
Il était donc clair que pour l’ensemble de mes contacts, on ne pouvait pas comparer un cabinet d’avocat et une entreprise ! Heureusement que je ne me laisses pas déstabiliser facilement, et plutôt que de clore le débat, je relance les discussions. En effet, même si je comprends les différences, certains besoins sont identiques.
Je reprends donc mon enquête en mettant en exergue des points qui me semblent cruciaux ! « En effet, il existe des différences, pourtant comme toute entreprise vous avez besoin de faire du développement commercial, du marketing, vous avez besoin de collaborer sur des dossiers ensemble et parfois même avec des parties externes, vous devez être en mesure de suivre l’activité de vos collaborateurs, d’analyser la performance de chacun… »
C’est alors que les langues se délient, et après des heures de discussions passionnantes, nous tombons d’accord : Oui ! Bien sûr les cabinets d’avocats peuvent intégrer certaines pratiques des entreprises.
Je collabore, tu collabores, nous collaborons
L’une des principales clés du succès d’une entreprise est l’interaction entre ses membres. Les organisations matricielles des entreprises visent à ce que l’ensemble des collaborateurs soient obligés de coopérer sur des projets en commun.
Ainsi si nous prenons l’exemple du business développement, le commercial n’est pas seul dans sa tâche :
- Il utilise une base de production commune sur laquelle il peut s’appuyer pour trouver des documents mis à jour par son équipe
- il partage ses expériences de retours au sein de l’équipe pour alimenter les bonnes pratiques
- Il met en place des stratégies communes pour conquérir plus facilement les marchés
Ce fonctionnement est assez facile à reproduire dans un cabinet, même s’il existe des freins que nous connaissons bien, tels que la confidentialité des contacts, des professionnels (et les apports d’affaires entre professionnels – cross-selling), la préservation de la propriété intellectuelle des consultations, contrats, documents et produits qui sont le savoir-faire de l’avocat…
Il en existe un autre bien plus fort en pratique c’est la CONFIANCE (ou en latin l’ « intuitu personae » qui est l’essence du moteur du développement d’affaires chez les avocats).
Si les avocats sont aussi peu enclins à partager, c’est qu’il existe une sorte de sacralisation de leurs contacts qui ont toute une confiance en leurs avocats mais aussi la crainte légitime qu’une mauvaise recommandation (dont il n’a pas de bénéfice) lui fasse perdre le client. Un contact transformé et fidélisé qui a confiance dans la qualité d’un avocat représente son chiffre d’affaire passé, présent et souvent avenir.
Pourquoi alors partager son contact, pourquoi faire entrer un associé dans cet écosystème au risque de venir casser cette relation ? C’est faire entrer le loup dans la bergerie !
La raison est assez simple, « seul on avance vite, ensemble on avance loin », cet adage peut paraitre un peu désuet mais la collaboration crée des synergies et chaque avocat y gagnera individuellement si les autres jouent le jeu car c’est un marché de demande et non d’offre.
En effet, seul le client sait à quel moment il doit confier un dossier à un avocat. L’avocat bien implanté est alors en position d’envoyer directement des clients transformés à ses associés ! Plus que de lui ouvrir la porte, il est une vigie avancée chez le client, une tête chercheuse de dossiers pour lui ou ses associés. Tout le monde y gagne alors : moins de temps perdu à chercher de nouveaux clients mais une efficacité redoutable d’identification des besoins
Entrez dans l’ère de la digitalisation
Non, ne fermez pas cette page, il ne s’agit pas ici d’un énième post sur les miracles de la digitalisation. Car en effet, la digitalisation n’a rien de magique !
Si les entreprises ont intégré depuis bien longtemps la digitalisation dans l’ensemble de leurs services (vente, marketing, achat, logistique, gestion, RH…), c’est qu’elles ont su intégrer l’ensemble de ces outils informatiques comme point central dans leur productions quotidiennes.
Si nous reprenons notre exemple du business développement vu au chapitre précèdent et l’appliquons cette fois avec une vision digitale.
En interrogeant mes contacts, beaucoup m’ont dit que leur principale source de courant d’affaires était la recommandation. D’autres, m’ont dit qu’ils pensaient créer un poste de business développeur au sein de leur cabinet. Mais tous se sentaient peu confiants…. Ils sont aux pieds de la montagne et cette montagne est très haute !
Du coté des entreprises, cette question a été depuis longtemps réglée. Tous utilisent des outils comme des CRM, font du marketing automation, partagent leurs contacts et mettent en place des best practices.
Cependant, est-il possible de calquer ce modèle à celui des cabinets d’avocats ?
En partie oui, l’un des meilleurs exemples est le CRM. Pourquoi existe-t-il une sous-utilisation de ce type de produit chez les cabinets d’avocats, alors même que c’est un outil central du BD pour les entreprises ?
La réponse est assez simple, peu d’outils sont encore pensés pour les avocats (car c’est une petite profession et que les éditeurs de la Silicon Valley ne pensent que « scalable » : une machine de guerre à configurer pour l’adapter à un besoin…. La très grande différence est qu’un avocat doit vendre sa future production alors qu’un commercial d’entreprise doit vendre le service ou le produit de son entreprise ! Il ne produit pas la voiture ou le logiciel… c’est l’organisation qui le fait…
L’enjeu commercial d’un avocat n’est donc pas de vendre des millions d’heures qu’il ne pourra pas produire mais ses heures et celles de ses équipes en fonction des taux de disponibilité de chacun. Un CRM marché est fait pour traiter des milliers de lignes et des milliers de relances et n’a aucun intérêt pour un avocat.
Néanmoins, il existe des CRM spécifiques qui peuvent se révéler être de réels catalyseurs de business. Attention, je ne parle pas ici d’outils de gestion de contacts mais de produits capables d’orienter les associés de façon qualitative sur les prospects ou clients les plus aptes à consommer un service du cabinet. L’objectif est en réalité assez simple, il est de minimiser le temps de génération de courant d’affaires et de maximiser les temps de production des dossiers en cours.
Mais le business développement n’est pas le seul espace dans lequel la digitalisation peut s’avérer être un enjeu crucial pour le cabinet.
Dans le chapitre précédent, nous avons vu la nécessité de collaborer plus activement pour les cabinets d’avocats. Ici aussi, la digitalisation est un puissant catalyseur de collaboration. Il existe de nombreux logiciels capables de structurer une organisation et de la rendre plus collaborative.
Ce type d’outil, est en mesure d’accroitre l’efficacité opérationnelle des avocats en multipliant en facilitant leurs interactions. Ces interactions peuvent être de plusieurs ordres.
- Travailler sur des documents en commun au même moment
- Echanger facilement autour de dossiers
- Partager des documents simplement
- ….
Si ce système fonctionne au sein du cabinet, il doit être en mesure de fonctionner de la même façon avec des membres externes au cabinet.
Nous parlons ici d’un point encore peu connu des cabinets d’avocats pourtant incontournable des entreprises. Celles-ci ont compris depuis bien longtemps, que la clé de la réussite était cette capacité à considérer l’entreprise comme un système élargi dans lequel les fournisseurs, clients, partenaires sont totalement intégrés dans une organisation commune.
Je pourrais prendre l’exemple des appels d’offres pour lesquels un associé doit constituer une équipe. Il est tout à fait possible de constituer une équipe interne au cabinet (c’est d’ailleurs ce qui se fait le plus couramment,) mais là encore quels associés choisir quand il existe plusieurs spécialistes dans un domaine ?
Souvent, l’avocat prendra son « copain » par défaut car il connait parfois mal ses autres associés mais est-ce le choix professionnel le plus pertinent ? Des outils de gestion de projet sont très pertinents pour gérer cette question, car en plus de l’accès à une CVthèque, il donne accès à des informations comme le taux d’occupation.
Mais ce que les associés font en interne, ils doivent être en mesure de pouvoir le faire avec des avocats externes s’ils leur manquent un spécialiste pour un dossier particulier.
L’avenir des cabinets d’avocats réside là ! et il est temps de s’équiper pour faire la course en tête et ne pas être laissé au bord de la route !